Mi-Avril, l’Agence de Développement des Hautes-Alpes a invité un groupe de journalistes nationaux dans le briançonnais autour d’un voyage de presse sur trois jours, intitulé « L’eau, force vive de la montagne ». C’est le premier des quatre volets saisonniers qui seront consacrés à cette thématique au cours de l’année 2022. L’occasion de mieux comprendre le cycle de l’eau, les enjeux, les usages et la mobilisation des montagnards haut-alpins pour préserver et réguler une ressource aussi vitale que fragile.
Episode 1 : Le grand cycle de l’eau en montagne, ne pas dénaturer les rivières tout en gérant les risques !
C’est donc au col du Montgenèvre, aux sources de la Durance puis en Clarée que le groupe de journalistes de la presse nationale a fait l’entame du voyage de presse printanier « au fil de l’eau » dans le briançonnais.
« En amont du lac de Serre-Ponçon, la Durance est encore sauvage », souligne David Doucende, ingénieur hydrobiologiste à la fédération de pêche des Hautes-Alpes. « Elle peut paraître calme mais elle peut aussi avoir un caractère impétueux. Il existe une nappe d’accompagnement mais la ressource est vraiment liée à la météo ». La géographe Muriel Sanchez rappelle d’ailleurs ce vieux dicton en provençal : « Lou Parlamen, lou mistrau e la Duranço soun li très fléu de Prouvènço » (« Le Parlement, le mistral et la Durance sont les trois fléaux de la Provence »).
« Nous sommes dans une région de montagne où les risques de laves torrentielles sont bien réels », observe Mme Sanchez. Les crues, les charriages et les glissements de terrain ont des conséquences sur l’activité humaine, et il est donc nécessaire de gérer ces risques. En montagne, c’est notamment le cas de la renaturation des pentes, entreprise depuis le XIXème siècle, pour limiter les aléas climatiques. La construction du barrage de Serre-Ponçon et du canal de la Durance en aval a également participé à la domestication de la plus longue rivière de Provence.
Ce régime torrentiel a aussi des conséquences sur les poissons. David Doucende met en avant le rôle des « adoux ». « C’est une particularité de nos territoires de montagne et de la richesse du piémont. Ce sont des zones de refuge qui permettent de créer de la stabilité lorsque la rivière a de gros débits. C’est grâce à eux que les poissons peuvent résister. » Les associations de pêche ont entrepris depuis 2008 de les restaurer quand ils avaient disparu. « Ce sont parfois des opérations mécaniques lourdes pour rétablir les continuités hydrologiques, retravailler les berges… Parfois, il suffit de « jardiner » ces milieux-là, d’enlever des branches accumulées… Les adoux sont naturels mais il faut trouver le bon curseur pour entretenir ce patrimoine exceptionnel ». C’est à ce prix que la truite fario, « un poisson qui est là depuis les dernières glaciations » et qui est toujours sauvage, peut être préservée.
FOCUS
Un fond océanique à 2600 mètres d’altitude
La Durance trouve sa source dans les prés des Gondrans, au pied du Chenaillet à Montgenèvre. « C’est un territoire sédimentaire qui est la seule relique intacte du fond océanique alpin », souligne Raymond Cirio, président du centre briançonnais de géologie alpine. « C’est le seul endroit en Europe et c’est assez exceptionnel. Quand vous marchez là, vous voyez la même chose que si vous plongiez au fond de l’océan Atlantique. »
Comment cela s’explique-t-il ? « Lorsqu’un océan se forme, il est condamné à mourir un jour du fait de la tectonique des plaques. 99% des océans alpins ont disparu dans les profondeurs de la terre. Il y a quelques morceaux qui ne descendent pas. Le seul qui est intact se trouve au Chenaillet. Il s’est retrouvé en superstructure sur le continent qui a remplacé l’océan. »
La Durance devrait-elle se nommer la Clarée ?
Pourquoi la Durance porte-t-elle ce nom au-delà de sa confluence avec la Clarée, alors que le débit de cette dernière est bien plus important ainsi que sa longueur ? Ces deux critères déterminent habituellement le nom des cours d’eau après un confluent. « Erreur de géographe », assure-t-on dans la vallée de la Clarée. Elle-même géographe, Muriel Sanchez explique qu’il faut « se replacer à l’Antiquité. Il n’y avait pas de carte et il fallait se repérer pour identifier un itinéraire ». Au col de Montgenèvre, la via Cottia per Alpem permettait de rejoindre la grande via Domitia, reliant le Rhône aux Pyrénées. « Depuis Montgenèvre, on ne perdait pas la route en suivant la Durance jusqu’au Rhône et il était donc plus simple de ne pas changer le nom de la rivière », avance la géographe.
